Stockholm, 10 novembre, 1977Le temps plus doux automnal s'efface peu à peu pour laisser sa place au froid dur de l'hiver. La neige tombe, s'arrête pour revenir en force quelques jours plus tard. C'est au coeur de l'une de ces accalmies que naquit, alors que la mi-novembre pointait son nez, Clive Byström. Un enfant dont l'histoire était déjà écrite, quelque part là-haut, tout en laissant suffisamment d'espaces vides pour qu'il puisse lui-même la compléter. Un enfant du milieu qui serait, pour le reste de sa vie, encadré de façon protective par ses deux frères âgés et sa sœur la plus jeune. Malgré la distance entre sa terre natale et sa terre adoptive; à distance d'un océan, d'un bout du monde à un autre.
Une enfance sans histoire. Une famille unie et aimante. Aucune catastrophe marquante, mais une solidarité débordante. À cette époque, ces histoires de transmutants et de pouvoirs semblaient bien éloignées, à peine présentes dans la pensée collective.
Université de Stockholm, 1997-2000Le choix d'étudier en sciences allait de soi, pour Clive. Son père, physicien de renom, le nourrissait de faits scientifiques et d'histoires sur ses recherches depuis son jeune âge.
Lui aussi avait envie de découvertes, de cette exploration des couches les plus profondes de tout ce qui nous entoure pour obtenir des réponses, pour comprendre.
En première année, Clive était considéré comme l'un des élèves les plus prometteurs de sa cohorte. Au bout du compte, la science, c'était dans son sang.
Ce fut des années de liberté. Sa première fois loin de la maison, de sa famille envahissante et du huis clos du village près de Stockholm où il avait vécu les premières années de sa vie. Des années qui lui donnèrent le goût de l'aventure loin de chez lui, de voir le monde autre que son pays.
Des rencontres. De nouvelles connaissances. Quelques fêtes. Mais, surtout, de l'étude à lui faire tourner la tête. Parce qu'il se donnait à fond dans ce qu'il faisait. Parce que, pour lui, c'était tout ou rien.
Sa passion et ses bonnes notes lui valurent l'obtention d'un stage dans une entreprise privée des États-Unis, spécialisée en génétique et en biologie. Il eut un coup de cœur pour les terres américaines, qui lui paraissait s'étirer à l'infini, pour la recherche dans le domaine, pour l'ambiance et les sujets d'étude dans l'entreprise, pour l'accent, pour l'ouverture des gens.
Clive rencontra une femme, Lyvia. Belle. Intelligente. Une écrivaine à l'imagination débordante qui le fascinait. Il regagna son pays natal après presque un an de stage, des idées plein la tête et la détermination de se spécialiser en biologie moléculaire et en génétique. Il s'inscrivit à la master pour assouvir sa soif de connaissances. Il avait quitté Lyvia à contrecœur, une promesse de lui montrer bientôt le pays où il était né perchée sur ses lèvres lors des au revoir. Une promesse scellée d'un dernier baiser.
Boston, Massachussetts, 2003 Son diplôme en poche, Clive reçoit une proposition qu'il ne peut refuser. Une offre d'emploi plus qu'intéressante pour un finissant comme lui de la part de l'entreprise américaine où il avait fait son stage, deux ans auparavant. L'occasion, enfin, de revoir Lyvia et de s'installer à ses côtés pour vrai.
Mais il hésite. La dernière fois, son installation en Amérique du Nord était une mesure temporaire depuis le début. Clive savait que lorsqu'arriverait la date fatidique, il reprendrait l'avion vers la Suède. Cette fois, c'était différent. Cette fois, c'était un choix qu'il devrait faire pour les années à venir, pour un laps de temps indéfini, confus, dépendant de plusieurs variables dont il n'avait pas connaissance pour l'instant.
Les États-Unis, c'était loin. Un océan de distance de la Suède. Pour la première fois, les kilomètres qui séparaient les deux pays devenaient horriblement concrets. Mais Clive savait que refuser reviendrait à freiner sa carrière de rêve, à cause du salaire, des tâches, de la réputation de l'entreprise. Non, rationnellement, il devait accepter la proposition. Pourtant...
Son père était du même avis. Ses yeux étincelaient lorsque Clive lui fit part de la nouvelle. Il connaissait la réputation de l'entreprise, le milieu scientifique international. Il savait que c'était ce dont son fils avait rêvé. De voir son père si fier de lui renforça la détermination de Clive.
Il accepta.
Et il eut le souffle coupé de fébrilité lorsque, de l'avion, les contours blancs des nuages s'éclipsèrent pour laisser place aux buildings et aux couleurs de la ville de Boston. Les arbres aux feuillages rouge et orange. Les rues serpentant à travers la ville et la campagne alentour. La silhouette moderne des bâtiments.
Lyvia l'attendait à l'aéroport, souriante et malicieuse comme dans son souvenir. Un nouveau chapitre de sa vie commençait.
Juin 2007La vie suivait son cours, pour Clive, aux États-Unis. Quatre ans, déjà, qu'il vivait ici, à Boston, montait les échelons de l'entreprise pour laquelle il travaillait. Il sent que son travail satisfait ses supérieurs, que ses collègues le respectent autant que lui le les respecte. Lentement, il s'est installé dans sa routine à l'Américaine avec Lyvia. Une routine qui lui plait, à son image.
Mais, la routine, c'est aussi fait pour être brisée.
Bien entendu, lui et Lyvia avaient parlé d'enfants depuis leur mariage, en 2004. Aucun des deux n'était prêt à se lancer dans cette nouvelle aventure à cette époque, et pour cause: leurs carrières respectives prenaient leur envol, s'accéléraient. Indépendants, ils souhaitaient pouvoir se consacrer pleinement aux nouvelles occasions qui se présenteraient à eux, sans embûches.
En octobre 2006, Lyvia l'attendait à la maison, assise sur le sofa, lorsqu'il revint du travail. Le visage incertain, un test de grossesse entre les mains, elle lui annonça la nouvelle. Il en eut le souffle coupé et, pétillant de joie, la serra avec force dans ses bras.
Novembre 2016Quatre ans. Il y avait quatre ans déjà qu'une véritable bombe avait été lancée dans la société américaine. Le gouvernement avait déclaré officiellement l'existence d'une nouvelle espèce d'être humain, des transmutants victimes d'une mutation génétique.
Au départ, Clive n'avait su quoi en penser. Une pure fascination pour cette nouvelle évolution de l'être humain l'envahissait, constituait pour l'instant son opinion sur le sujet. Il voulait en apprendre davantage, participer aux recherches concernant ce sujet de l'heure. Avide de connaissances, il s'était informé de son côté aux autres spécialistes du milieu émergent. Au cours des années suivantes, il continua à tenir ce sujet à l'oeil, à suivre l'évolution des choses.
L'un de ses collègues d'université lui offrit un emploi dans son entreprise spécialisée en recherches sur ce nouveau gène, sur les transmutants. Il accepta immédiatement.
Puis, il entendit parler de multiples accidents graves causant blessés et morts, qui avaient été causés par les transmutants et, la plupart du temps, un manque de contrôle de leurs pouvoirs. La situation devenait sérieuse: l'opinion publique semblait être en train de se retourner contre les transmutants, même si certaines personnes continuaient de se battre pour le respect des droits de ces derniers. Malgré sa fascination pour les transmutants, Clive devenait de plus en plus sceptique. Devait-on laisser ces gens, atteints par une mutation dont on ne savait encore pas grand-chose, vivre parmi le reste de la population sans être encadrés?
Le gouvernement, poussé dans cette direction par la population, décida d'imposer un test de dépistage à tous les citoyens. Clive se prêta au jeu la tête haute, sûr de ses capacités et de son absence de pouvoirs. Sa femme et sa fille de neuf ans héritèrent d'une pastille blanche rassurante indiquant l'absence du gène.
Ses papiers d'identité, eux, portèrent désormais une pastille noire. Clive passa plusieurs minutes, à la sortie du bâtiment, à fixer ce petit rond noir presque menaçant. Le rond noir de l'incertitude. Celui qui illustrait son appartenance non pas aux humains, mais à une nouvelle espèce déjà détestée par une part de l'opinion publique.
Non, c'était tout simplement impossible. Il ne pouvait pas être l'un de ces êtres dangereux, l'une de ces bombes à retardement.
La même semaine, Clive fit jouer son réseau de contacts dans le milieu et convainquit certains de ces collègues de lui faire repasser le test. Parce qu'il y avait forcément eu une erreur. Dans les échantillons de sang. Dans les analyses. Peu importait où, mais il y avait eu une erreur.
Le nouveau test eut le même résultat que le précédent.
Il usa d'encore plus de gentillesse pour obtenir un autre test. Mais c'était toujours cette pastille noire qui le fixait de son oeil profond.
Incrédule, Clive se contenta de ranger sa carte d'identité et d'oublier la pastille noire. De toute façon, quelle importance pouvait-elle avoir? Il n'avait jamais démontré de capacités hors de l'ordinaire, symptômes du gène, et n'en démontrerait jamais. Le lendemain, il retourna travail comme si rien n'était. Personne ne lui posa de questions en voyant la fameuse pastille noire. Il détestait encore davantage les transmutants pour avoir fait de lui l'un des leurs. Un être hors de la normalité. Un être à étudier, dont une grande part de la population avait peur. Désormais, il ne faisait plus seulement toutes ces recherches et ces tests sur les transmutants par fascination pour la génétique, par désir de diminuer leur dangerosité pour le reste de la population. Il le faisait aussi pour lui, pour peut-être un jour effacer la pastille noire sur ses cartes d'identité, pour éviter qu'elle ne devienne rouge ou bleue.
Mars 2017La tension montait entre la population, les transmutants et ceux qui travaillaient en politique. Les transmutants causaient des changements irréversibles dans la société.
Lorsque Clive regardait ses papiers d'identité, la pastille noire le fixait toujours sans cligner des yeux.
La nuit d'encre était tombée sur la ville, un voile sombre qui, ce soir, couvrait tout, même les étoiles. Sa fille dormait paisiblement dans son lit à l'étage. Sa femme et lui, dans le salon, calmes, à demi ensommeillés sur le sofa. Ils sont entrés par effraction dans la maison, semant le chaos dans leur oasis de paix. Avant que Clive ne comprit ce qui se passait, les trois hommes détenaient sa femme, sa fille et lui-même sous la mire de leurs fusils.
Un groupe de transmutants extrémistes, déterminés à se venger des expériences et des recherches menées sur leurs proches par l'entreprise où il travaillait. Il ignorait comment ces hommes l'avaient retrouvé, ni même qui ils étaient. Ces pensées firent peser en lui le fardeau d'une terreur sourde. Sa femme se débattait dans la poigne de l'un des hommes. Un éclair de quelque chose passa devant leurs yeux et sa femme s'écroula sur le sol. Du sang se répandit autour d'elle. Beaucoup trop à son goût. Il sut que l'un des hommes avait utilisé son pouvoir, même s'il ignorait en quoi il consistait (il ne tenait pas à le découvrir). Clive hurla, mais n'entendit rien. Il se précipita, mais on le retint, et il se trouva projeté avec force contre le mur. Étourdissement. Vision floue. Son coeur battait dans sa poitrine comme s'il voulait la percer. Le désespoir se répand dans ses veines, un virus impossible à repousser une fois qu'il a atteint chaque parcelle du corps. Ils repoussent par coups le corps de sa femme. Il repousse sa fille contre un autre mur, son corps le heurta dans un bruit sourd. Aucun cri ne sort de sa bouche. Est-elle tombée inconsciente? L'homme la retient en place, et Clive ne peut apercevoir son visage parce que ses yeux refusent de quitter le visage de sa fille, tentant de percevoir un signe de douleur, de vie.
Clive voudrait pouvoir agir, ne pas se contenter de fixer ce qui se passait devant lui, impuissant. Mais il était un scientifique en génétique, pas un spécialiste en arts martiaux. La colère montait tant que sa poitrine brûlait, et ce même feu se répandait dans ses veines pour atteindre chaque partie de son corps.
Il devait agir. Faire quelque chose. N'importe quoi.
Il puisait dans le reste de ses forces pour se relever. Il ouvrit la bouche, et il ignorait si c'était ce qui avait attiré l'attention des hommes à nouveau ou s'il faisait seulement beaucoup de bruit en se relevant. Clive s'avança. Un pas. Deux.
Puis, il remarqua que les trois hommes le regardaient avec des yeux ronds de surprise. Immobiles. D'un geste presque instinctif, Clive leva les paumes. C'est alors qu'il aperçut les flammes. Rouges et oranges, elles brûlaient au centre de ses paumes comme elles le feraient dans un foyer. Sans calciner sa peau. Sa fille hurla " Papa! » Et la colère dans sa poitrine devint un volcan en éruption. Hors de contrôle. Avant même que la pensée ne traverse son esprit, les flammes dans ses paumes s'échappèrent dans toutes les directions. Des jets de flammes brûlants incendiant tout sur son passage. En quelques secondes, les trois hommes étaient entourés de flammes de plusieurs mètres. Le plafond et les murs craquèrent sous le poids de la puissance des flammes.
Clive se figea, consterné par les dommages autour de lui, par l'ampleur de ce qu'il avait fait. Mais sa femme était couchée sur le sol et sa fille, maintenant relâchée, était assise contre le mur.
Pas le temps de réfléchir. Il devait agir.
Sans certitude, Clive se jeta dans le cercle des flammes qu'il avait lui-même formé. L'instinct parlait, lui dictait les prochaines actions. Le feu le laissa intact. Sans se poser davantage de questions, il souleva sa femme, recueilli sa fille et se précipita hors de la maison. Il ignorait comment cela était seulement possible, mais ils étaient tous les trois indemnes.
Août 2017Leur maison était en cendres. Sa vie de famille, aussi. Il était dangereux. Elles avaient peur. Sa femme était partie vivre le plus loin possible de lui, tout en restant à Boston. Elle refusait de le laisser voir sa fille tant qu'il n'aurait pas fait quelque chose pour contrôler ses fameux pouvoirs. Mais Clive avait passé les derniers mois à éviter d'employer les flammes dans ses paumes. Il prenait soin de ne pas les faire naître involontairement; il se refusait à être responsable d'un autre désastre.
Quand les flammes s'échappaient de lui par accident, il faisait de son mieux pour les cacher. Il était autant fasciné que dégoûté par ses nouvelles capacités, qui n'étaient mêmes pas humaines...Il avait bien essayé de les contrôler, mais elles semblaient posséder un esprit pratiquement indépendant à sa propre volonté.
Puis, Clive décida de prendre les grands moyens: il se ferait vacciner. Il connaissait les effets secondaires, qui étaient parfois graves. Qu'avait-il à perdre rendu où il en était? Peut-être le vaccin était-il la solution pour retrouver sa vie d'avant? Puis, il connaissait bien les effets secondaires, ce qui l'aiderait sans aucun doute à passer à travers...